les Moulins de Melun en 1729
Allez encore un texte qui est un petit bijoux sur les moulins de Melun :
« MELUN est une Ville de la Brie, à dix lieues de Paris sur la Seine ; c’est le lieu le plus commode que l’on puisse désirer pour le commerce des grains, tant par la fertilité de la terre des environs, qui en produit abondamment, que par la commodité de la rivière, pour les conduire à Paris. Le marché s’y tient toutes les semaines le Mercredy & le Samedy , mais le Samedy est le plus fort. Il s’y trouve ordinairement cent ou six-vingts muids de bled & quelquefois jusqu’à deux cens muids. Par les Reglemens de Police de ce lieu, les Sacs doivent estre ouverts à dix heures pour les Bourgeois, & à midy seulement pour les Marchands & les Boulangers ; mais par un mauvais usage ils n’ouvrent qu’à midy pour les uns & pour les autres, & souvent le grand concours d’acheteurs cause la cherté. Outre le Minage & les deux liards de raclage par sestier, dont nous avons parlé ailleurs, l’Executeur de la Haute Justice prend encore un droit de Havage dans une mesure qui tient à peu près la moitié de celle du Minage, & le jour qu’il y a eu ou doit avoir exécution, il prend le double. Les Gentilshommes, les Ecclésiastiques & les Bourgeois ne payent qu’un demi droit de Minage, soit qu’ils vendent dans leurs Greniers ou au marché.
II y avoit autrefois des Marchands de bled en cette Ville qui l’amenoient en grain à Paris ; mais depuis environ l’an 1680, ils ont pris l’habitude de faire moudre & de l’amener en farine par eau jusques au Port de la Grève & de là le faire conduire à la Halle. Depuis ce temps-là ce sont les Meusniers & les Boulangers qui font presque tout le commerce pour Paris. Deux choies les ont déterminé à cet usage ; la commodité des Moulins, il y en a quatre dans la Ville sur la Seine, deux sur la petite Rivière de Saint Liesne au Fauxbourg, & trois sur le Ru de Rubelle, à un quart de lieuë de cette Ville. De ces neuf Moulins les deux de la Rivière de Saint Liesne sont Bannaux ; l’un que l’on nomme le Moulin du Roy, & l’autre le Moulin Farineau ; & ces deux travaillent pour les particuliers que la Bannalité oblige d’y aller. Les sept autres sont continuellement employez pour la Ville de Paris. La seconde raison qui a déterminé à changer ainsi le bled en farine, c’est que les Marchands & sur tout les Boulangers qui font ce commerce y trouvent mieux leur compte. Pour entendre cela il est à remarquer qu’après qu’ils ont tiré la fleur de la farine pour Paris, il leur reste les recoupes & le son gras qu’ils vendent sur les lieux. Ce commerce des recoupes est pour ainsi dire une espece de paradoxe, le pain qui en est fait est certainement moins bon & moins profitable que celuy de la fleur ; cependant elles sont presque toujours vendues un plus haut prix à proportion que la meilleure farine. Le peuple & même les gens distinguez qui ont nombre de domestiques les préfèrent. Cela vient de ce qu’estant plus seiches que la fleur de farine, elles prennent plus d’eau à la Huche & que l’on en fait un plus grand nombre de pains. Les Magistrats qui ont une parfaite connoissance de ce qui se passe à cet égard, sçavent bien aussi par une bonne & sage économie en tirer tout l’avantage que le public en peut espérer. II est de leur usage que toutes les fois que le prix du bled est augmenté de quatre livres, ils augmentent à proportion celui du pain. Cependant lorsque cette augmentation est parvenuë jusques à 20 livres, au lieu d’augmenter le prix du pain, comme il semble que cela devroit estre, ils le diminuent au contraire. Ils en rendent cette raison qu’en ce tems de cherté les recoupes sont plus recherchées & vendues encore plus cher qu’en un autre temps, & qu’ainsi les Boulangers de Melun qui sont tous Marchands de farines, gagnent sur le prix des recoupes qu’ils employent & fur celles qu’ils vendent aux habitans du lieu & aux Boulangers de Paris, de quoy les indemniser de cette diminution du prix de leurs pains. »
Pas forcement facile à lire, je l’ai laissé en vieux François… (Traité de la Police en 4 volumes, 1729)